L’archéologie du paysage sonore,

– Par Matthieu LUCAS

Comment restituer les ambiances sonores du passé ?

L’archéologie est une discipline scientifique qui a pour objet d’étude l’Humain et de manière générale, on l’associe aux vestiges matériels tels que les anciens bâtiments, les poteries, les outils, les ossements, pièces de monnaie, etc. Seulement, l’archéologie ne traite pas uniquement du matériel, mais aussi de l’immatériel. En effet, avec le son, l’archéologue du paysage sonore peut au travers de plusieurs études recréer une ambiance sonore du passé. De plus, l’atelier sur la musique antique s’insère aussi dans ce cadre archéologique du paysage sonore, en re créant des sonorités de l’époque antique.

Objet d’étude

Le paysage sonore est un concept forgé et développé par Raymond Murray Schafer dans son ouvrage The Soundscape. Our Sonic Environment and the Tuning of the World écrit en 1977. Il est défini comme une représentation formée de plusieurs plans sonores. On en distingue deux types : le paysage sonore vécu et le paysage sonore créé. Le paysage sonore vécu est le paysage existant ou ayant existé par le filtre de nos émotions. Le paysage sonore créé est directement issu de notre imagination, tel qu’on s’imagine un son en lisant un livre. Il peut certes se nourrir d’éléments tirés de la réalité, mais il n’a jamais existé. La différence entre les deux porte donc sur le constat suivant : l’un est réel, l’autre est une invention. Le principe de l’archéologie sonore réside dans ce constat.

Quelques dates liées au son :

1857 : Création du phonautographe (Scott de Martinville) et du phonographe (Thomas Edison). 

Phonographe, Oeuvre sous CC.
Phonautographe ( modèle de 1859).

1887 : Le gramophone (Emile Berliner).

Gramophone © 2023 vintano.

1961 : La première cassette audio (Lou Ottens).

Première cassette, œuvre sous CC.

1979: Le premier Disque Compact ou CD et premier Walkman ( développé par Sony et Philips)

Premier Walkman © 2011-2023 Nippon
Premier Disque Compact © DutchAudioClassics.nl

1998 : Le MP3 ( Fraunhofer-Gesellschaft, Karlheinz Brandenburg, Heinz Gerhäuser, Bernhard Grill, Harald Popp)

Premier MP3 © 2023 Blog Cobrason

Comment restituer ces ambiances sonores anciennes ? Comment faire résonner des sources écrites et visuelles ? Tel est l’enjeu de l’archéologie du paysage sonore. C’est ici une autre lecture de l’histoire liée aux phénomènes naturels (orage ou éruption volcanique), acoustiques (de la musique), de bruits humains (claquement de doigts) ou encore de sémiologie (la cloche d’une église).

On distingue trois ambiances sonores :

  • la géophonie (acoustique des lieux ou la météo)
  • la biophonie (le son des animaux, les insectes)
  • l’anthropophonie (les humains et leurs activités). 

Mais alors qu’est-ce qu’un son ?

C’est un émetteur, un milieu et un récepteur1. On le définit par sa fréquence, son timbre permet de différencier plusieurs sons que l’on entend et son intensité est en décibel (dB). Plusieurs lois sont liées au son et notamment la Loi de réflexion liée à l’acoustique qui nous intéresse particulièrement ici. 

Tout son est par définition une onde et rebondit, se transfère dans tous les objets proches comme le sol et les murs. Ainsi, l’harmonie totale de la salle nécessite que tous les éléments présents doivent être disposés à la meilleure des places. Ce point met également en avant des archives permettant de retrouver la sonorité de celle-ci et grâce aux appareils d’aujourd’hui, de le restituer à sa plus haute précision.

Pourquoi ?

Dans toute restitution de projet archéologique, la découverte est représentée en image dessinée, photographiée, voire restituée dans certains cas en image 3D).

Grâce à l’archéologie du paysage sonore, on peut retrouver les ambiances du passé. Cependant les restituer nécessite de longues investigations et repose sur des savoir-faire pluridisciplinaires qui associent les chercheurs en sciences humaines et sociales ainsi qu’en sciences de l’ingénieur.

L’archéologue du paysage sonore tend à chercher les traces du “sonore” dans les écrits et dans les visuels. Ainsi, les livres comptables peuvent préciser des activités dans une zone géographique donnée (boucher, forgeron, zone à forte ambiance, etc.). Ces “bruits” sont restés identiques durant des siècles : le fer frappé par le forgeron il y a 500 ans fait le même bruit qu’aujourd’hui. Pour obtenir les sonorités du passé, il suffit (juste) d’enregistrer ces sons d’aujourd’hui pour faire un rendu d’hier.

Retrouver le Paris du XVIIIe siècle…

L’archéologie du paysage sonore permet la création d’un rendu 5D immersif. Soit un rendu en hauteur, longueur et largeur pour la vidéo, qui forment la 3D. La 4e dimension consiste au déplacement à la première personne et la 5D est la dimension sensible ajoutée au contenu, dans le cas du projet Bretez, la dimension sonore. Un projet sous la responsabilité de Mylène Pardoen, archéologue des paysages sonores du CNRS et du MSH Lyon Saint-Etienne.

Un projet qui repose sur une interdisciplinarité forte et de multiples interactions entre les sciences humaines, sociales, les sciences, la technologie de l’information et de la communication. Le projet consiste à restituer en version multimédia et interactive une visite virtuelle de la ville de Paris au XVIIIe siècle.

Plan de Paris dressé par Louis Bretez et Michel-Étienne Turgot en 1739
©Getty – Sepia Times 

…ou entendre sonner Notre Dame

C’est également le cas de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, qui dans le cadre de sa reconstruction à l’identique, laisse apparaître la nécessité de l’archéologie sonore.

En effet, la cathédrale avait une sonorité bien à elle qui faisait chanter l’orgue dans sa plus grande précision. Le travail de l’archéologue sonore est de restituer cette sonorité perdue. 

Orgue de la cathédrale Notre-Dame de Paris (avant 1863).
© Ministère de la Culture, Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Comment ça marche ?

L’archéologie sonore est une recherche en trois temps :

  • La collecte de documents hétérogènes pour le projet. Toute sorte d’archives sont bonnes à prendre, tout dépend de la façon de la lire. Par exemple pour une rue, il faut prendre en compte la largeur, l’élévation des murs, les éléments d’architectures, les matériaux, la forme des bâtiments. On organise tel un mille-feuille la zone étudiée.
  • Le présent avec la captation des bruits et sons d’aujourd’hui.
  • Le futur avec la spatialisation des ambiances sonores. De la captation à la diffusion.

La restitution visuelle et sonore.

C’est un travail qui s’inscrit dans le temps long, entre la recherche, la collecte et la restitution. Il y a cependant certaines contraintes, qui sont restrictives : la localisation et le cadre historique à respecter. Ces contraintes peuvent être complexes notamment au niveau de l’acoustique : retrouver les mêmes conditions du “bruit” original au moment de l’enregistrement.

Une méthodologie au service du patrimoine culturel immatériel

  1. La captation : audio, photographies, vidéos en compléments ainsi que des fiches sur les conditions météorologiques (le son ne se propage pas de la même manière en fonction du temps).
  2. La documentation : un volet mémoriel, pédagogique et autour de la médiation.
  3. La diffusion :  de manière pédagogique et scientifique.

Dans le cas de la cathédrale Notre-Dame et de ses récents travaux. Les chercheurs ont élaboré des fresques sonores historiques sur sa construction en 1170. En obtenant les bruits d’ambiance de l’extérieur du bâtiment, on pourra in fine reproduire la sonorité de la ville durant cette période de construction.

Pour rappel, cette année-là, le chevet est en cours d’élévation. C’est essentiellement un travail de gros œuvre et donc un chantier très actif. Ce qui correspond parfaitement aux sonorités d’aujourd’hui. 

Deux bandes-son liés aux travaux de Notre-Dame en 1170 ( à écouter de préférence avec un casque audio ou des écouteurs pour une meilleure immersion ) :

Cette immersion sonore est le résultat de nombreuses captations, une récolte sonore de métiers encore exercés ou exercés dans le cadre de l’archéologie exploratoire. Les fresques présentées ici sont la version 10 des travaux. Tout cela s’effectue dans le cadre de l’archéologie du paysage sonore ainsi qu’à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Pour conclure

Ce nouveau domaine de recherche de l’archéologie est en pleine évolution et valorisation. Il reste encore beaucoup d’enjeux à chercher et découvrir. Que ce soit la méthodologie qui reste encore à créer, les outils pédagogiques et la médiation2.

Ce milieu large et encore peu connu évolue également grâce à la réalité augmentée, les études sensorielles ou encore les jeux vidéo (Assassin’s Creed3 recréant des ambiances sonores passées). Ce domaine sert aussi lors d’expositions afin de faire découvrir l’histoire par un autre prisme. 


1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Son_(physique)

2 https://archeoson.hypotheses.org/

3 https://masterabd.hypotheses.org/8423



Catégories :Archéopédia, News

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